Génèse du mouvement.
L'indignation gronde. En plein cœur du tumulte autour de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza, le silence des célébrités fait éclat. Dans une ère où chaque tweet et chaque post Instagram est scruté à la loupe, l'absence de prise de position devient un cri assourdissant. Les voix habituellement si promptes à s’élever pour des causes variées se murent dans un mutisme intrigant. Et ce silence, loin de les épargner, les plonge au centre d’une controverse brûlante.
Retour au Met Gala 2024 de New York. Les stars du monde de la musique, de Hollywood, des personnalités de tous horizons, riches et célèbres, exhibent leurs tenues de gala devant un parterre de photographes.
Cette soirée, la « guillotine numérique » s'est mise en marche. L'influenceuse et mannequin Haley Baylee (Haley Kalil, de son vrai nom), s'est filmée en robe de soirée proche du Met en prononçant en anglais la fameuse phrase qu'aurait dite Marie-Antoinette : « Qu'ils mangent de la brioche ! » Dès lors, c'est l'indignation des internautes. Comment peut-on être si superficiel, si insensible alors que les images en provenance de Gaza sont insupportables ?
Beaucoup se demandent comment ne pas user de son audience pour prendre position, non pas pour un camp, mais pour l'arrêt des bombardements et l'acheminement de l'aide humanitaire.
Les images du fameux gala de la mode ont inondé les médias sociaux, en même temps que celles de l’attaque israélienne contre la ville palestinienne de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. La juxtaposition de célébrités débordant de richesses et de Palestiniens pleurant leurs enfants morts a choqué le monde entier. Sur Twitter, Instagram et Facebook, les internautes se mobilisent. Les fans, déçus et parfois outrés, interpellent leurs idoles : pourquoi ce mutisme face à une telle tragédie ? De nombreux artistes et influenceurs, d’ordinaire engagés sur des sujets brûlants comme le racisme ou le changement climatique, brillent cette fois par leur absence de commentaires. Pour beaucoup, c’est une trahison. "Si tu ne parles pas, tu es complice," lit-on dans les commentaires acerbes sous les publications de célébrités.
Pourquoi ce silence ?
La question brûle les lèvres : pourquoi un tel silence ? Certains avancent que les stars craignent de froisser une partie de leur fanbase. D’autres évoquent des considérations politiques et financières. Hollywood, notamment, a des liens étroits avec des donateurs influents, et prendre position pourrait s’avérer risqué. Dès lors, les propos du réalisateur et acteur Michael Rapaport sur les artistes qui ont critiqué Israël : « Nous dressons une liste et on ne vous donnera plus d’argent ! »
Il y a aussi la peur de se tromper, de dire quelque chose qui pourrait être mal interprété dans un contexte aussi complexe. Quoi qu'il en soit, le silence est perçu comme une forme de lâcheté par un public en quête de justice et de soutien. Plusieurs organisations et personnalités influentes ont lancé des campagnes visant à sanctionner les
célébrités muettes. Des pétitions circulent, réclamant l'annulation de contrats publicitaires et la suspension de projets impliquant ces stars. La menace est réelle : dans un monde où l’image et la réputation sont capitales, un boycott peut faire très mal. Pourquoi certains n'osent-ils pas dénoncer les crimes commis par l'armée israélienne, alors qu'ils n'ont pas hésité à soutenir Israël après le 7 octobre ?
Quelques célébrités ont été les premières à briser le silence mais leur intervention n’a pas toujours été bien accueillie.
Des artistes comme John Legend et Mark Ruffalo ont exprimé leur solidarité avec le peuple palestinien, dénonçant
l'usage disproportionné de la force par Israël. Leur prise de position courageuse a cependant suscité des réactions mitigées. Si certains fans ont salué leur courage, d'autres les ont accusés de simplifier un conflit complexe et de prendre parti de manière irresponsable. La comédienne américaine Susan Sarandon, lauréate d’un oscar en 1996 et célèbre pour son rôle dans “Thelma et Louise”, fut exclue de son agence (UTA) pour ses prises de position jugées controversées lors d'une manifestation pro-palestinienne à New York, selon la revue "Deadline" et relayée par d'autres médias. En France, suite au post de Karim Benzema adressant « ses prières » aux habitants de Gaza en octobre dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a accusé le footballeur français d’entretenir des liens avec l’organisation islamique des Frères musulmans, qualifiée de terroriste par certains pays. « Toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants », a partagé l’attaquant de 35 ans, transféré au club d’Al-Ittihad en Arabie saoudite.
Des déclarations sous surveillance
Chaque déclaration est scrutée à la loupe, et les erreurs ne pardonnent pas. Gal Gadot, actrice israélienne mondialement connue, a elle aussi pris la parole. Elle a appelé à la paix et à la fin de la violence, sans toutefois accuser aucun des deux camps. Sa neutralité a été critiquée par les deux bords : certains l'accusent de ne pas assez soutenir Israël, tandis que d'autres lui reprochent de ne pas condamner plus fermement les actions de son pays. Cela montre bien à quel point il est difficile de naviguer dans ces eaux troubles sans heurter une sensibilité ou une autre.
Le légendaire guitariste britannique Eric Clapton a démarré une tournée de concerts au bénéfice des enfants palestiniens à Gaza, avec notamment sa nouvelle chanson « Save a child ».
Quant à la star du rock Roger Waters, du groupe Pink Floyd, sa maison de disques BMG a "rompu tout lien" avec le musicien pour des propos jugés antisémites, selon Variety. L'acteur américain John Cuzack a publié plusieurs posts sur X qui accusent Israël d’être en train de commettre un génocide à Gaza. Il a également partagé de nombreuses publications montrant des Juifs exprimant des convictions anti-israéliennes pour justifier son point de vue. Néanmoins, le groupe Stop Antisemitism a désigné l'acteur comme son "Antisémite de la semaine".
L’Appel au Boycott
Plusieurs organisations et personnalités influentes ont lancé des campagnes visant à sanctionner les célébrités muettes. Des pétitions circulent, réclamant l'annulation de contrats publicitaires et la suspension de projets impliquant ces stars. La menace est réelle : dans un monde où l’image et la réputation sont capitales, un boycott peut faire très mal.
"Ce mouvement est une réponse internationale qui consiste à bloquer ceux qui choisissent de rester silencieux sur le génocide actuel à Gaza et tirent leurs revenus et leur popularité grâce aux réseaux sociaux", s'exprime sur Instagram la militante Zazem, qui a rassemblé déjà plus de 45 000 abonnés. "En bloquant ces personnalités et leurs entreprises sur nos réseaux, on leur envoie un message fort : nous n'acceptons plus leur indifférence !" nous informe le mouvement.
Le conflit divise chez les célébrités. Comment les vedettes du show-biz peuvent-elles rester insensibles à la douleur des images difficiles qui proviennent de Gaza ? Sous cette pression intense, certaines célébrités ont fini par rompre leur silence.
Les Stratégies de Communication
Pour éviter les écueils, certaines célébrités adoptent des stratégies de communication très élaborées. Le monde du cinéma, plutôt discret jusqu'à présent, a vu certaines de ses stars prendre position. Lors du récent festival de Cannes, Leïla Bekhti portait un pin's représentant une pastèque, symbole de solidarité avec la Palestine. La mannequin Bella Hadid arborait une robe aux motifs du keffieh palestinien. Cate Blanchett, quant à elle, a foulé le tapis rouge dans une robe signée Jean Paul Gaultier aux couleurs du drapeau palestinien. La réalisatrice et actrice libanaise Nadine Labaki a rappelé lors de la cérémonie de clôture : « Il n'est pas normal de rester normal quand des milliers d’enfants meurent sous les bombes pendant leur sommeil ».
Dans l’industrie musicale, DJ Snake a exprimé son soutien sur la plateforme X avec le message « STOP THE GENOCIDE IN GAZA » en lettres capitales. Le rappeur Macklemore a annoncé qu’il ne voterait pas pour Joe Biden en raison de son soutien à Israël et a publié une chanson intitulée « Hind’s Hall », en référence à Hind Rajab, une jeune Palestinienne tuée à Gaza
Un mouvement qui prend de l'ampleur
L’influenceuse Kim Kardashian, accusée de soutenir Israël, aurait perdu plus de 800 000 abonnés. L’acteur Dwayne Johnson (The Rock) et la chanteuse Beyoncé auraient respectivement perdu plus de 400 000 et 900 000 abonnés. En France, une liste de célébrités à boycotter circule sur les réseaux sociaux, vue plus de 4 millions de fois.Elle cible des personnalités pour leur silence, demandant de ne plus suivre des vedettes comme Zinédine Zidane, Kylian Mbappé, Aya Nakamura, Jamel Debbouze, Florence Foresti, Orelsan, Maître Gims, Soprano, Thibault InShape, entre autres.
Le boycott touche également les personnalités accusées de faire la propagande d’Israël, comme Cyril Hanouna, Gérard Darmon, Michel Boujenah, Enrico Macias, et Pascal Praud. Il s’étend aux films, concerts, musiques, et émissions de télévision qui, faute de prendre parti, n’appellent pas non plus à un cessez-le-feu.
Quelle attitude à adopter pour les célébrités ?
Le débat sur le silence des célébrités face à l'offensive israélienne à Gaza pourrait bien marquer un tournant. Il pourrait instaurer une nouvelle norme où les personnalités publiques sont davantage tenues de s’exprimer sur des sujets sensibles, sous peine de sanctions sociales et économiques. Les célébrités devront peut-être revoir leur manière de gérer leur image publique et leur engagement social. La question centrale est celle de la responsabilité des célébrités. Ont-elles le devoir moral de s’exprimer sur tous les sujets d’actualité, ou peuvent-elles choisir de rester silencieuses sans en subir les conséquences ? Ce débat, loin d’être résolu, continuera de faire couler beaucoup d’encre et de susciter des réactions passionnées. Une chose est certaine : dans un monde hyperconnecté, le silence n'est jamais neutre, et chaque omission peut être interprétée comme une prise de position en soi.
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