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La Russie face à une impasse économique : entre inflation et stagnation



Depuis le début du conflit avec l'Ukraine en février 2022, l'économie russe a pris un tournant majeur, s'enlisant dans une situation délicate. Après deux ans et demi de guerre, les tensions ne sont plus seulement sur le front militaire, mais aussi au cœur de l'économie du pays. L'inflation est galopante, les ressources s'amenuisent, et la croissance est au point mort. Ce cocktail explosif risque de mener la Russie droit vers un scénario redouté : la stagflation, cette combinaison fatale d'une forte inflation et d'une croissance économique en berne.


Un spectre inquiétant : la stagflation

Elvira Nabioullina, directrice de la Banque centrale russe (BCR), n'y va pas par quatre chemins : la Russie pourrait être en route vers une stagflation. Elle met en garde contre une situation où, malgré tous les efforts déployés pour stimuler la demande, l'économie ralentirait tandis que l'inflation, elle, s’emballerait. « La pénurie de main-d’œuvre pourrait conduire à un ralentissement de la croissance, même si la demande est encouragée, ce qui renforcerait encore l’inflation », avertit-elle.

Cette dynamique est déjà en place. Les taux d’inflation ont atteint plus de 9 % en août, une réalité accentuée par une économie réorientée vers le secteur militaire. En réponse à la guerre en Ukraine, les dépenses fédérales ont augmenté de près de 50 %. Moscou a alloué des milliards aux forces armées, aux soldats, et à leurs familles, sans compter les investissements massifs dans les entreprises d'armement. Mais cet afflux de dépenses a généré une spirale inflationniste qui pourrait devenir incontrôlable.


Les dépenses militaires, moteur et fardeau

Depuis le début de l'invasion en Ukraine, les sanctions occidentales ont visé à étrangler financièrement la Russie. Mais Vladimir Poutine a riposté en faisant de l'industrie de la défense la pierre angulaire de l'économie nationale. En 2023, le budget de la défense et de la sécurité représente près de 8,7 % du PIB, un niveau inédit depuis l’époque soviétique.

Toutefois, cet investissement massif dans le complexe militaro-industriel, s'il a permis à la Russie de résister à certaines sanctions, a aussi déséquilibré d'autres secteurs. L'exode des travailleurs qualifiés, attirés par les rémunérations plus élevées de l'armée, a laissé des millions de postes vacants, accentuant la pénurie de main-d'œuvre. Paradoxalement, le chômage est à son plus bas historique, autour de 2,4 % en juillet. Cette apparente bonne nouvelle cache une réalité plus sombre : la productivité est en chute libre, et les chaînes d'approvisionnement, perturbées par les sanctions sur les technologies occidentales, peinent à se réorganiser.


Un avenir incertain : vers une économie en déclin

Les experts sont unanimes : la Russie est en train de s'enliser. Ruben Enikolopov, professeur à l'École d'économie de Barcelone, prévoit que la combinaison de ces facteurs aboutira à une croissance très faible à long terme. « Il est fort probable que la Russie soit confrontée à une stagflation dès 2025 », prédit-il. Le tableau qu'il dresse est alarmant. Les signes de ralentissement de l’activité sont déjà perceptibles, et avec un taux directeur fixé à 18 %, les entreprises voient leurs coûts de financement exploser, freinant encore plus la croissance dans les secteurs non militaires.

Maxime Bouev, de la Nouvelle École d'Économie de Moscou, va plus loin : il décrit un cercle vicieux d'inflation et de « keynésianisme militaire », où toutes les mesures de relance économique sont orientées vers l'effort de guerre, laissant le reste de l'économie subir les effets délétères de la hausse des prix. L’économie russe se « dé-modernise », selon les termes de Vladislav Inozemtsev, cofondateur du Centre pour l’analyse et les stratégies en Europe. Les avancées technologiques sont quasi inexistantes, et le développement économique est sévèrement limité.


Préparation pour un conflit prolongé

Malgré ces signes de déclin, la Russie semble se préparer pour un conflit de longue durée. Moscou dispose encore de réserves importantes – environ 300 milliards de dollars qui n’ont pas été gelés par les sanctions occidentales. Avec un ratio dette/PIB relativement faible de 15 %, et des hausses d’impôts prévues pour générer des revenus supplémentaires, le pays semble avoir les moyens financiers de prolonger l’effort de guerre.

Sergueï Alexachenko, ancien vice-ministre des Finances, estime que les véritables effets des sanctions sur les exportations de technologies vers la Russie ne seront visibles que dans une dizaine d'années. D’ici là, la Russie continuera d’exploiter ses ressources pour maintenir son offensive militaire.


Un pari risqué : la course contre la montre

Cependant, ce modèle économique basé sur l'effort de guerre est loin d’être durable. « Peut-être pas indéfiniment », tempère Inozemtsev. « Mais pour plusieurs années encore, la Russie a certainement l'argent et les ressources pour continuer à combattre avec la même intensité qu'aujourd'hui ». Pourtant, les doutes subsistent quant à la viabilité de cette stratégie. Les dépenses militaires, bien que considérées comme une « grande ressource » par Vladimir Poutine, ne suffiront probablement pas à compenser les coûts exorbitants qu’elles impliquent.

La Russie se retrouve face à un dilemme : continuer à investir massivement dans l’armée, au risque d'épuiser ses ressources et de voir son économie sombrer, ou changer de cap. Mais pour l'instant, aucun signe ne laisse présager un changement de direction. Alors que la guerre se prolonge, l’économie russe semble condamnée à une lente érosion.

Dans ce contexte, l'avenir de la Russie apparaît de plus en plus incertain. Si elle parvient à maintenir son effort de guerre à court terme, les défis économiques qu'elle devra surmonter dans les années à venir sont immenses. Entre l'inflation galopante, la pénurie de main-d'œuvre et les effets des sanctions, la Russie semble s'enfoncer dans un cycle de déclin économique. La stagflation, redoutée par la Banque centrale, pourrait bien devenir une réalité inévitable, mettant en péril non seulement l'économie du pays, mais aussi sa stabilité à long terme.


Vidéo associée : La Russie menacée par un risque de stagflation



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