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La Chute du Militant Kemi Seba, de la Déchéance à l'Arrestation

Dernière mise à jour : 16 oct. 2024



Un militant sous le feu des projecteurs : l'arrestation mystérieuse

C'était un lundi ordinaire dans le XVe arrondissement de Paris. Rien ne semblait présager qu'au cœur d'un restaurant, une figure controversée de l'activisme panafricain allait être appréhendée. Kemi Seba, un nom qui résonne à travers les cercles militants en Afrique et en France, a été arrêté ce 14 octobre dans des circonstances encore floues. Ni les autorités, ni ses proches n'ont fourni d'explications sur les raisons de son interpellation, mais la nouvelle, d'abord relayée par France24, a rapidement secoué les réseaux sociaux.


L'ombre de la déchéance de nationalité

Avant même son arrestation, Kemi Seba avait déjà fait parler de lui pour une raison majeure : la perte de sa nationalité française. Né à Strasbourg en 1981, d'origine béninoise, celui qui se qualifie de "panafricaniste radical" a vu sa nationalité révoquée quelques mois plus tôt. Le décret, publié le 9 juillet 2024, officialisait la décision du Conseil d'État. Cette déchéance ne semble pas avoir surpris Seba ni cependant son entourage. Son avocat, Juan Branco, avait même révélé que son client avait anticipé cette décision, ayant déjà envoyé une lettre de renonciation bien avant que la procédure ne soit enclenchée.

Mais pourquoi un tel dénouement ? À l'origine de cette procédure, une posture anti-française marquée, adoptée et amplifiée par l'activiste. Depuis des années, Seba s'est établi en critique virulente de la présence française en Afrique, dénonçant ce qu'il appelle le « néocolonialisme ». Ses discours, jugés incendiaires par les autorités, l'ont placé dans la ligne de mire de Paris.


Le discours enflammé d'un homme controversé

Pour comprendre la radicalité de Kemi Seba, il faut remonter à ses débuts. Dès les années 2000, il faisait déjà parler de lui avec son mouvement Tribu Ka, une organisation militante aux accents nationalistes noirs. Mais c'est en 2006 que la France découvre cet homme, alors à la tête de manifestations à forte teneur antisémite dans le quartier juif du Marais. Condamné à de la prison avec sursis pour violences en réunion, il n'en est pas à son premier démêlé avec la justice.

En 2014, il purge plusieurs semaines de prison après que son sursis a été révoqué. Puis, en 2009, la justice le condamne à huit mois de prison avec sursis pour incitation à la haine raciale. Cette condamnation faisait suite à des écrits dans lesquels il accusait les institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale d'être contrôlées par des "sionistes" qui imposeraient des conditions de vie insupportables à l'Afrique.


Les expulsions successives : un homme désiré

Installé en Afrique depuis plusieurs années, Kemi Seba n'a pas arrêté d'attirer les foudres des gouvernements locaux. Expulsé du Sénégal en 2017 après un acte provocateur — brûler un billet de 5000 francs CFA en guise de protestation contre cette monnaie qu'il assimile à un symbole de la domination française — il se voit ensuite banni de la Côte d'Ivoire, où il avait tenté d'organiser une manifestation similaire. Ses discours et actions, toujours enflammés, finissent par lui valoir également une expulsion du Burkina Faso, alors qu'il se rend à un rassemblement contre l'opération militaire française "Barkhane".

Kemi Seba n'est pas seulement un orateur ; c'est un symbole de résistance pour beaucoup. Dans ses meetings, qui rassemble des milliers de sympathisants, il dénonce la présence française en Afrique, milite pour l'abolition du franc CFA et se pose en défenseur de l'indépendance africaine.


L'influence digitale : un empire sur les réseaux sociaux

Kemi Seba a su profiter de l'ère numérique pour amplificateur à portée. Avec 1,3 million d'abonnés sur Facebook, près de 300 000 sur Instagram et plus de 200 000 sur YouTube, il a réussi à bâtir un véritable empire médiatique. Ses vidéos, partagées par des milliers de personnes, lui assurent une visibilité constante, et ses discours trouvent un écho auprès de jeunes africains en quête de figures fortes pour dénoncer l'héritage colonial.

En mars 2023, il parvient même à réunir 2000 personnes lors d'un meeting à Bobigny, un événement qui démontre son pouvoir de mobilisation en France comme en Afrique. En Guadeloupe, où la question du chlordécone — un pesticide controversé — fait rage, Seba n'hésite pas à s'emparer du sujet, galvanisant des fautes déjà acquises à sa cause.



Un homme au cœur de la géopolitique internationale

Mais l'influence de Kemi Seba ne se limite pas à la sphère militante. Ses prises de position, surtout en Afrique de l'Ouest, attirent l'attention des puissances étrangères. Selon plusieurs enquêtes, dont celle de Jeune Afrique , il aurait entretenu des liens étroits avec le groupe Wagner, l'organisation paramilitaire russe, implantée au Mali. Entre 2018 et 2019, il aurait même perçu 400 000 euros de cette organisation, un financement qui servirait à soutenir ses activités panafricanistes, mais aussi à propager des récits favorables aux intérêts russes, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine.


Les liens avec Wagner et la Russie : un complot ou une réalité ?

Cette relation présumée avec Wagner soulève de nombreuses questions. En participant à une rencontre pro-russe au Mali, Kemi Seba semble se positionner comme un rouage dans une mécanique géopolitique plus vaste, où la Russie cherche à étendre son influence en Afrique au détriment de la France. Dans ce contexte, ses discours anti-français trouvent un écho particulier, résonnant avec les aspirations de nombreux Africains frustrés par des décennies de relations jugées déséquilibrées avec leur ancienne puissance coloniale.

Mais Kemi Seba rejette toute idée d'instrumentalisation. Pour lui, sa lutte reste purement panafricaniste. Pourtant, le fait que son arrestation en France survienne alors que les tensions géopolitiques entre Paris et Moscou s'intensifient alimentent les spéculations.


Une figure en quête de légitimité

Malgré ces soupçons, Kemi Seba continue de revendiquer sa légitimité. Lors de ses tournées en Guyane, il a été reçu par deux députés de la Nupes, suscitant la polémique. Qu'on l'admire ou qu'on le déteste, Seba ne laisse personne indifférent. Lors de sa visite à Cayenne, il a même reçu une médaille des mains de la maire, un geste qui a suscité de vives réactions.

À ses yeux, la déchéance de sa nationalité française n'est pas une humiliation, mais une reconnaissance de son combat. "C'est pour nous une décoration de guerre", déclare-t-il sur le plateau de RT, une chaîne russe interdite en Europe. Pour Seba, cette perte de nationalité est la preuve qu'il dérange.


L'arrestation de Kemi Seba marque un nouveau chapitre dans une vie déjà remplie de tumultes. Si les raisons de son interpellation restent floues, cet événement n'est qu'une nouvelle péripétie dans la saga d'un homme qui ne cesse de provoquer, de diviser, et de capter l'attention. Sa trajectoire soulève des questions plus larges sur le rôle de l'activisme dans le monde moderne, et sur les lignes floues entre résistance légitime et influence géopolitique.

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